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15.56
Thrènes

Bezpłatny fragment - Thrènes


Objętość:
34 str.
Blok tekstowy:
papier offsetowy 90 g/m2
Format:
145 × 205 mm
Okładka:
miękka
Rodzaj oprawy:
zeszytowa
ISBN:
978-83-288-0361-9

Thrènes - Introduction

Quand, il y a quelques années, il fut question dans la presse polonaisede célébrer en 1884 le troisième centenaire de la mort du véritable créateur de notre poésie nationale, je me demandai quelle part je pourraisprendre à la célébration de cet anniversaire; et, encouragé par l'accueilfait à mes traductions en vers de quelques-unes des œuvres de Słowacki,j'entrepris de traduire également le chef-d'œuvre de Kochanowski, lesThrènes sur la mort de sa fille.

Le moment est venu de publier ce travail, et ce n'est pas sans hésitationque je le soumets au public polonais et français.

Nos littérateurs polonais retrouveront-ils dans cette copie quelques-unesau moins des qualités du modèle? Son exquise sensibilité, sa simplicité«divine», cette apparente absence d'art qui est le triomphe de l'art, cettevariété admirable de coupes et de rythmes qui rompt la monotonie de laplainte et fait qu'elle devient chant et poème au lieu de rester simplemélopée, et surtout cette nouveauté naïve et charmante de la langue naissante, quoique déjà parfaite, novitas florida linguae; tout cela n'aura-t-il pasdisparu dans une version française, que j'ai voulu aussi exacte que possible, où chaque vers de l'original est traduit par un vers qui lui correspond fidèlement, mais dans laquelle, pour être compris du lecteurmoderne, j'ai dû employer, tout en la teintant légèrement d'archaïsme, lalangue française actuelle?

Et, d'autre part, le lecteur français, que ne pourra séduire, si tant estque nous ayons réussi dans nos efforts, le charme de la difficulté vaincue,voudra-t-il admettre ce mélange de mythologie païenne et de christianisme, qui est le cachet de la poésie de Kochanowski comme de presquetous les poètes du seizième siècle? Pourra-t-il assez se déprendre deshabitudes d'esprit que lui ont laissées la poésie pompeuse du dix-septièmesiècle, le romantisme du dix-neuvième siècle et le naturalisme actuel,pour goûter, dans le cas où nous l'aurions reproduite, cette simplicité sitouchante et parfois si naïve?

Quoi qu'il en soit, voici notre humble tribut à la mémoire de l'émuleet du contemporain des Arioste et des Ronsard, du devancier et duprécurseur des Cervantes, des Camoëns, des Tasse, des Malherbe et desShakespeare.

Puissent au moins nos lecteurs, en jugeant notre travail, se souvenirde ce mot du poète latin: In magnis voluisse sat est.

V. G.

Thrènes - Motto

Tales sunt hominum mentes, quales pater ipseJupiter auctiferas lustravit lumine terras.

Thrène I

Ô du sombre Héraclite immortelles douleurs,

Du plaintif Simonide accents mouillés de pleurs,

De tous les malheureux cris d'angoisse et d'alarmes,

De tous les affligés plaintes, sanglots et larmes,

Tous, tous, accourez tous, et m'aidez à pleurer

Ma fille, dont la mort vient de me séparer,

Ma fille, mon trésor, dont elle a fait sa proie,

M'enlevant à jamais mon espoir et ma joie.

Tel un serpent avise un nid dans un buisson;

Il fond sur les petits et d'un gosier glouton

Les dévore... La mère accourt à leur défense:

Elle crie et cent fois sur le monstre s'élance

Mais en vain: le cruel à son tour la poursuit;

Pauvre mère! À grand'peine elle-même s'enfuit!

Mais que sert de pleurer, me dit un sage austère?

Eh! par le dieu vivant, rien ne sert sur la terre!

Tous nos efforts sont vains. Nous cherchons à tâtons

Le bonheur, mais au deuil partout nous nous heurtons!

Qui dira s'il vaut mieux écouter sa tristesse,

Ou vaincre la nature et se dompter sans cesse?

Thrène II

Ah! puisqu'il me fallait consacrer aux enfants,

Je le vois aujourd'hui, mes veilles et mes chants,

Que n'ai-je écrit plutôt jadis pour leurs berceuses,

Ainsi qu'on m'en priait, quelques chansons joyeuses,

Quelques refrains naïfs faits pour les endormir,

Lorsque dans leur couchette on les entend gémir!

Mieux eût valu redire une rime légère,

Que de venir ici verser, malheureux père,

Des pleurs sur le tombeau de l'enfant qui n'est plus,

En poursuivant Pluton de mes cris superflus.

Si j'avais su choisir!... Le choix n'est plus possible,

Hélas!... Je dédaignai, dédain sot et risible,

Cette tâche trop basse... Aujourd'hui mon malheur

Malgré moi me condamne à chanter ma douleur!

Qu'importent les honneurs réservés à ma Muse?

Ah! me dit le destin, ton fol orgueil refuse

Des chansons aux vivants, eh bien! chante les morts!

Épuise en les pleurant et ton âme et ton corps.

La fortune le veut, elle règne en maîtresse

Et seule met en nous la joie ou la tristesse.

Loi pleine de rigueur! Des ombres de l'enfer

Reine inflexible, au cœur de roche, au cœur de fer!

Ma fille devait donc, sans bien savoir encore

Vivre ici-bas, mourir à peine à son aurore,

Et, sans avoir joui des rayons du soleil,

Aller voir le pays de l'éternel sommeil!

Pourquoi donc parmi nous Dieu l'a-t-il fait paraître?

Pour qu'elle pût mourir, sans doute il la fit naître;

Et, loin de consoler quelque jour ses parents,

Elle leur a laissé des chagrins déchirants.

Thrène III

Oh! tu m'as dédaigné, ma charmante héritière!

C'était trop peu pour toi que le bien de ton père.

Je le sais, il n'eût pu suffire à ton grand cœur;

Non jamais il n'aurait égalé la vigueur

De ton esprit naissant, ces dons de la nature,

Signes déjà certains de ta vertu future.

Ô paroles, ô jeux, ô gracieux saints,

Que je suis malheureux, je ne vous verrai plus!

Elle a donc déserté la maison paternelle

Pour toujours; ma douleur sera donc éternelle!

Il ne me reste plus qu'à te suivre là-bas,

Si je puis retrouver la trace de tes pas,

Ma fille; oh! dans le ciel je te verrai, j'espère,

Et tu te jetteras dans les bras de ton père.

Thrène IV

Mort impie! Ah! pourquoi forcer cruellement

Mes yeux à voir ma fille à son dernier moment?

Je te vis secouer ce fruit vert, ô cruelle,

Et déchirer nos cœurs d'une angoisse mortelle.

Jamais sans m'accabler du poids de la douleur

Elle n'eût pu mourir, jamais sans que mon cœur

N'eût saigné, quel que fût ou le jour ou l'année

Que, me laissant tout seul, elle s'en fût allée.

Mais jamais, non jamais, en la voyant mourir,

Plus qu'en ce jour de deuil, je n'aurais pu souffrir.

Et si Dieu l'eût permis, en vivant davantage,

Que de joie elle eût pu me donner en partage!

Et moi, durant ce temps, j'aurais fini mes jours

Peut-être, et de mes ans vu s'accomplir le cours,

Sans avoir ressenti la plus grande torture

Qu'ait jamais éprouvée humaine créature.

Je comprends Niobé, qui voyant le bûcher

Consumer ses enfants, s'est changée en rocher.

Thrène V

Tel un jeune olivier qui s'élève de terre

Dans un vaste verger à l'ombre de sa mère.

Et sans produire encor ni branches ni boutons,

Frêle, dresse sa tige entre les rejetons;

Que si le jardinier, en coupant les épines,

D'une faux imprudente a touché ses racines,

Il s affaisse; et, perdant sa première vigueur

Tombe aux pieds de sa mère et périt de langueur.

Telle fut de ma fille, hélas! la destinée.

Sous nos yeux elle allait grandissant, inclinée

Sur sa tige légère; un souffle meurtrier

L'a touchée en passant — notre jeune olivier

À nos pieds est tombé. Tu trouves donc des charmes,

Ô mort, à faire en vain répandre tant de armes!

Thrène VI

Sapho slave, chanteuse au doux gazouillement,

Ce n'est pas une part de mon bien seulement,

C'est mon luth qui devait t'échoir en héritage.

Je fondais cet espoir sur ton gentil ramage:

Tu rimais des chansons, jamais tu ne fermais

La bouche, et ton babil ne s'arrêtait jamais.

Telle d'un rossignol la voix mélodieuse

Charme au fond du bosquet la nuit silencieuse.

Trop tôt ce chant s'est tû: la mort subitement

T'a fait fuir, ma mignonne au doux babil charmant:

J'en avais encor soif de ton chant doux et tendre;

Mais j'ai payé bien cher ce que je pus entendre;

Tu chantais même encore au moment d'expirer;

Ta mère en un baiser t'entendit murmurer:

«Pauvre mère, bientôt tu n'auras plus de fille;

Ma place sera vide au repas de famille.

Je pars, reprends tes clefs, mère! je te les rends!

Je m'en vais pour toujours loin de mes chers parents.»

Ces mots (le reste échappe à ma douleur amère)

Furent de mon enfant la parole dernière;

Et sa mère entendit un adieu si poignant.

Oh! son cœur fut bien fort, pour demeurer vivant.

Thrène VII

Lugubres vêtements, douloureuse toilette

      De ma chère fillette,

Pourquoi venir encor frapper les tristes yeux

      D'un père malheureux?

Elle ne mettra plus ses robes des dimanches,

      Ses belles robes blanches;

Elle dort, mais hélas! d'un terrible sommeil

      Qui n'a pas de réveil.

À quoi bon ces rubans, ces nœuds, cette ceinture?

      Pourquoi cette parure?

Oh! ce n'est pas ce lit nuptial, va, crois-moi,

      Qu'elle rêvait pour toi,

Ta mère! Et ton trousseau de jeune fiancée,

      Tout prêt dans sa pensée,

N'était pas ce linceul, ce vêtement de deuil...

      Ton père en ton cercueil

A déposé ta dot avec toi renfermée,

      Ma fille bien-aimée!

Thrène VIII

Quel grand vide a laissé dans ma triste maison,

Ô mon charmant trésor, ta disparition!

Tout est plein. L'on dirait qu'il ne reste personne.

Ta seule âme de moins, et tout nous abandonne.

Tu parlais pour nous tous, pour nous tous tu chantais;

Dans tous les coins toujours joyeuse tu sautais.

Tu ne laissas jamais se chagriner ta mère,

Ni par trop de travail se fatiguer ton père;

Embrassant l'un, puis l'autre, allant de tout côté,

Ton sourire partout éveillait la gaieté.

Tout s'est tu maintenant; la maison est déserte,

Plus de jeux, plus de ris, chacun pleure ta perte;

De chaque coin le deuil semble fondre sur nous,

Et toi tu n'es plus là pour nous consoler tous.

Thrène IX

Que d'or l'on donnerait pour t'acheter, Sagesse,

S'il est vrai que tu sais apaiser la tristesse,

Extirper de nos cœurs les désirs, le chagrin,

Et faire, peu s'en faut, de l'homme un séraphin,

Qui ne sait ce que c'est que le deuil et la plainte,

Qui tient tête aux revers et dédaigne la crainte.

Les choses d'ici-bas sont pour toi sans valeur.

Dans la prospérité comme dans le malheur

Toujours ferme, la mort n'a rien qui t'épouvante;

Rien ne peut ébranler ta force triomphante.

La richesse, dis-tu, ce n'est pas aux trésors,

C'est au contentement et de l'âme et du corps

Qu'on doit la mesurer. Ton œil inexorable,

Sous des lambris dorés démasque un misérable;

Nul pauvre ne voudrait augmenter son avoir,

S'il réglait sur tes lois sa manière de voir.

Malheureux! j'ai gravi les degrés de ton temple

Pendant toute ma vie; et, quand je te contemple,

Je suis de ces hauteurs soudain précipité

Dans la foule vouée à l'imbécillité.

Thrène X

Ursule! ma charmante! où s'est-elle envolée?

Dans quelle région du monde est-elle allée?

Les anges l'ont-ils prise et transportée aux cieux

Pour célébrer là-haut le Seigneur avec eux?

Est-elle en Paradis? Aux îles bienheureuses

A-t-elle été conduite? ou les eaux ténébreuses

Du Styx et du Léthé versent-elles l'oubli

Dans son cœur, qu'elle est sourde à mon douloureux cri?

Ou bien changeant de corps aux sphères éternelles

A-t-elle de l'oiseau pris la forme et les ailes?

Est-elle au Purgatoire, où par l'ordre de Dieu

Elle se purifie encore au sein du feu?

Est-elle après sa mort en ces lieux retournée

Où son âme vivait avant qu'elle fût née?

Où que tu sois, si l'âme existe, entends ma voix:

Et si tu ne le peux aussi bien qu'autrefois,

Comme tu le pourras viens consoler ma peine;

Viens à moi comme un songe ou comme une ombre vaine.

Thrène XI

«La Vertu n'est qu'un mot», dit Brutus abattu;

Oh! oui, tout n'est qu'un mot, un atome, un fétu!

Qui par sa piété fut sauvé du naufrage?

Qui fut par sa bonté préservé de l'orage?

L'humanité gémit sous les lois de démons

Qui brisent à leur gré les méchants et les bons.

Où que passe leur souffle, il n'épargne personne:

Crime ou vertu, qu'importe? À nul il ne pardonne;

Et nous de notre esprit follement orgueilleux,

Nous méprisons les sots, bien qu'ignorants comme eux.

Escaladant le ciel, nous voudrions y lire

Les mystères divins: mais ce n'est qu'un délire

Aveugle; de nos sens nous sommes le jouet.

Dieu voudra-t-il jamais nous dire son secret?

Douleur, que me veux-tu? Vais-je par ta folie

Perdre avec mon bonheur ma raison affaiblie?

Thrène XII

Nul n'aima son enfant plus que je ne t'aimais

Ma fille, et plus que moi ne le pleura jamais.

C'est que bien rarement on a vu jeune fille

Plus digne de l'amour d'un père de famille.

Proprette, obéissante et se faisant aimer,

Sachant si gentiment chanter, parler, rimer;

Imitant les saluts de tous, leurs attitudes,

Connaissant des enfants les jeux, les habitudes,

Sage, polie, humaine, ayant toujours bon cœur,

Serviable, attentive et pleine de pudeur,

Au repas du matin s'asseyant la dernière,

Après avoir au ciel adressé sa prière;

N'allant dormir qu'après nous avoir dit adieu,

Qu'après avoir pour nous humblement prié Dieu.

Son père, sur la route au retour d'un voyage,

Toujours apercevait d'abord son doux visage;

Toujours de ses parents elle assistait les gens,

Leur prêtant le secours de ses soins obligeants.

Et tout cela déjà quand sa deuxième année

Était depuis six mois à peine terminée.

Pour sa jeunesse, hélas! c'était trop de vertu:

Sous ce fardeau trop lourd je te vis abattu

Bien avant la moisson, mon épi frêle et tendre.

Non, tu n'étais pas mûr encore, et, sans attendre

Ton heure, dans le sol je te mets de nouveau

Et j'enferme avec toi mon espoir au tombeau.

Je ne te verrai plus jamais sortir de terre,

Tu ne refleuriras jamais à la lumière!

Thrène XIII

Ô ma charmante Ursule: il eût fallu choisir

Ou bien de ne pas naître, ou de ne pas mourir!

Pour un jour de bonheur des siècles de souffrance!

Oh! c'est payer bien cher ta trop courte présence.

Tu m'as trompé, semblable à ce songe imposteur

Qui fait luire un trésor aux regards d'un dormeur,

Puis tout à coup s'enfuit, et de cette richesse,

Lui laisse le regret, l'envie... et la tristesse

Et voilà justement comme tu m'as traité.

Tu fis naître l'espoir en mon cœur enchanté,

Et puis tu t'en allas me laissant la souffrance,

Emportant avec toi ma dernière espérance;De mon âme, en un mot, tu m'as pris la moitié.

L'autre me reste, triste et digne de pitié.

Amis, placez ici cette pierre sculptée

Avec l'inscription que je vous ai dictée:

«Ici repose Ursule, Ursule mes amours

Et mes regrets; ci-gît l'espoir de mes vieux jours.

Ô mort, tu t'es trompée: elle meurt la première,

Quand c'était à la fille à pleurer sur son père.»

Thrène XIV

Orphée, indique-moi cette porte de fer,

Par où tu sus jadis pénétrer dans l'enfer.

Si ce chemin pouvait me conduire vers elle,

Si je passais aussi cette onde sur laquelle

L'inflexible nocher emporte au loin les morts,

Vers les bois de cyprès qui noircissent ses bords!

Ne m'abandonne pas, ma lyre harmonieuse,

Viens avec moi: franchis l'enceinte ténébreuse

Du rigoureux Pluton; s'il dédaigne mes pleurs,

Tu sauras l'attendrir en chantant mes douleurs;

Si bien qu'il me rendra ma fillette chérie

Et chassera le deuil de mon âme assombrie.

Il la retrouvera: nous sommes tous à lui;Mais ce fruit n'est pas mûr: son heure n'a pas lui.

Il faudrait que le cœur de ce Dieu fût de pierre

Pour ne point se laisser fléchir à ma prière,

N'est-ce pas? Ou sinon, ayant fait le chemin,

Restons-y; que la mort termine mon chagrin.

Thrène XV

Ô toi, blonde Erato, toi, lyre enchanteresse,

Qui des cœurs déchirés consolez la détresse,

Apaisez un instant mon esprit affligé,

Tant qu'en un froid rocher je ne suis pas changé,

Versant des pleurs de sang à travers cette pierre

Au cruel souvenir de ma douleur de père.

Est-ce erreur? ou l'aspect des souffrances d'autrui

Nous laisse-t-il plus froids que notre propre ennui?

Ô mère malheureuse (en effet qui s'abuse

Soi-même, c'est toujours le malheur qu'il accuse),

Tes filles et tes fils que sont-ils devenus?

Qu'as-tu fait de ta joie? Hélas! je ne vois plus

Que deux fois sept tombeaux; et toi, désespérée,

Tu voudrais de ta vie abréger la durée;

Tu presses de tes bras ces marbres, sous lesquels

Ta main de tes enfants mit les restes mortels.

Telles gisent les fleurs que la faux a tranchées,

Ou qu'au milieu des champs la tempête a couchées.

Quel espoir te fait vivre? et qu'attends-tu du sort?

Que ne fuis-tu plutôt ta douleur par la mort?

Que fait ton arc? que fait ta flèche vengeresse?

Ô Phœbus! et toi frappe, ô cruelle déesse!

Par courroux pour son crime, ou sinon par pitié,

Achevez Niobé, qui ne vit qu'à moitié.

Un nouveau châtiment a sa faute expiée:

Elle s'est en pleurant ses morts... pétrifiée.

Sur le Sipyle elle est debout, marbre éternel;

Mais sous la pierre vit son désespoir cruel.

Ses larmes de douleur transperçant la montagne

En limpide ruisseau tombent dans la campagne;

L'oiseau, le fauve y boit: elle est là s'élevant

À l'angle du rocher, triste jouet du vent.

Ô sépulcre vivant, ô mort sans sépulture!

Toi-même es ton cercueil, vivante est ta blessure!

Thrène XVI

Je cède au mal, je cède à la nature.

Le corps brisé par ma longue torture,

Je ne puis plus ni chanter ni gémir

      Mieux vaut mourir!

Suis-je vivant ou quelque horrible songe.

S'élance-t-il de mon cerveau qu'il ronge,

Pour décevoir mon esprit et mon cœur

      De son erreur?

Sottise humaine, orgueilleuse folie!

Dans ses pensers comme l'homme s'oublie

Quand rien ne vient rabattre son orgueil,

      Malheur ni deuil.

La pauvreté nous plaît dans la richesse.

Dans le plaisir nous bravons la tristesse;

Chacun de nous, tant qu'il est jeune et fort,

      Rit de la mort.

Mais quand survient le deuil ou la misère,

Parler est un, vivre est une autre affaire;

Et quand la mort frappe notre regard,

      Il est trop tard.

Ô Cicéron, pourquoi lorsqu'on t'exile

Verser des pleurs? que t'importe une ville?

Notre patrie est le monde, as-tu dit,

      Sublime esprit!

Ta fille est morte; et pourquoi donc te plaindre.

Le déshonneur n'est-il plus seul à craindre?

Ne faut-il plus accepter le malheur

      La joie au cœur?

La mort, dis-tu, ne fait peur qu'à l'impie.

Et pourquoi donc défendis-tu ta vie,

Quand on voulut pour un mordant discours

      Trancher tes jours?

Console-toi, puisque tu nous consoles.

Tu ne fus donc sage aussi qu'en paroles,

Parleur divin? Tu souffres, je le voix,

      Autant que moi.

L'homme est de chair: seule la destinée

Rend notre vie ou triste ou fortunée.

Ô sort maudit! Mais c'est se torturer

      Que de pleurer!

Temps, de l'oubli loi qu'on nomme le père,

Ce que n'ont pu ni raison ni prière,

Calme mon deuil et chasse ma douleur

      Loin de mon cœur.

Thrène XVII

La main du seigneur me foudroie,

Il m'enlève toute ma joie;

Le souffle à peine m'est resté,

Et bientôt il m'aura quitté.

Que le soleil brillant se lève

Ou que sa carrière s'achève,

Toujours égale est ma douleur,

Rien ne peut apaiser mon cœur.

Jamais ne finit ma tristesse,

Il faut gémir, pleurer sans cesse.

Il faut pleurer; ô Dieu des cieux,

Qui peut se soustraire à tes yeux?

Nous craignons de voguer sur l'onde;

Nous fuyons le canon qui gronde;

Et les maux viennent nous frapper

Quand nous croyons leur échapper.

J'avais caché dans la retraite

Mon existence humble et secrète,

Et mon toit par l'adversité

Ne pouvait être visité.

Mais la sagesse souveraine

Se rit de la prudence humaine,

Et m'a frappé d'autant plus fort

Que plus je défiais le sort.

Et mon esprit dont la jactance

Parlait si haut de sa constance,

Se connaît à peine aujourd'hui,

Bien loin de me servir d'appui.

Parfois pourtant il se redresse

Et cherche à calmer sa tristesse;

Mais que peut son faible secours?

Mes chagrins l'emportent toujours.

En vain notre âme s'évertue

À nier le mal qui la tue;

Et rire dans l'adversité

N'est que folie en vérité.

Cacher nos larmes sous le rire!

J'entends ce que vous voulez dire:

Mais par là, loin de s'en aller,

Le deuil ne fait que redoubler.

Le mal dont mon âme est atteinte,

Ne se calme que par la plainte.

Mais la faiblesse est un malheur,

La honte aussi blesse le cœur.

Par le ciel! Le triste remède

Pour celui que le deuil obsède,

Ô mes amis, nul d'entre vous

N'en peut-il trouver un plus doux.

Laissons s'exhaler ma souffrance,

Car j'ai perdu toute espérance;

La raison n'a pu me guérir,

Dieu seul pourra me secourir.

Thrène XVIII

Enfants ingrats d'un si généreux père,

 Quand pour nous tout est prospère,

 Négligeant de te bénir,

Nous ne pensons qu'à notre seul plaisir.

Nous oublions qu'il nous vient de ta grâce,

 Et que vite il fuit et passe

 Lorsque pour de tels bienfaits

Un cœur léger ne te bénit jamais.

Ô guide nous! Loin de nous les chimères

 Des vains plaisirs éphémères:

 Et fais-nous penser à toi

Ou par l'amour ou sinon par l'effroi!

Mais punis-nous, oh! punis-nous en père!

 Nous fondrons sous ta colère

 Comme la neige au printemps,

Quand le soleil darde ses traits ardents.

Nous périrons tous, ô Dieu redoutable,

 Si ta foudre nous accable

 Sous le poids de ton courroux.

Non, ce supplice est trop cruel pour nous!

Mais notre espoir sur ta bonté se fonde;

 On verra périr le monde,

 Avant que le repentir

Perde, ô seigneur! le droit de te fléchir.

De mes péchés si le torrent déborde,

 Ô Dieu, ta miséricorde

 Surpasse mes iniquités:

Pour moi, Seigneur, j'implore tes bontés.

Thrène XIX

Bien avant dans la nuit la douleur de ma perte

Tint mon corps en éveil et ma paupière ouverte.

Vers l'aube seulement le sommeil paresseux

De son aile noirâtre a caressé mes yeux.

Aussitôt devant moi ma mère s'est montrée,

Tenant entre ses bras mon Ursule adorée.

Elle venait ainsi chercher son chapelet

Quand ma voix de son lit le matin l'appelait.

C'est bien son vêtement blanc, ses boucles soyeuses

Et ses yeux souriants et ses lèvres joyeuses.

Je regarde et j'attends. Ma mère parle ainsi:

«Dors-tu, Jean? ou ton cœur nourrit-il son souci?»

Alors en soupirant, de mon sommeil, je pense,

Je m'éveillai. Ma mère après un court silence

Continue en ces mots: «Ton chagrin éternel

Jusque vers toi, mon fils, m'a fait venir du ciel.

J'arrive de bien loin; et tes larmes amères

Ont pénétré des morts les demeures dernières.

Je t'apporte ta chère Ursule entre mes bras;

Peut-être l'ayant vue encore, tu voudras

Calmer ton désespoir, mon fils, car il t'enlève

Tes forces, et ta vie avant le temps s'achève,

Ainsi que lentement se consume un flambeau:

Chaque heure en s'écoulant t'approche du tombeau.

Et quoi donc? Pour toujours nous croyez-vous perdues,

Lorsqu'au séjour des morts nous sommes descendues?

Non, crois-moi, nous vivons plus que vous dans le ciel,

Car plus noble est l'esprit que n'est le corps mortel...

Terre, le corps retourne à la terre, et notre âme

Ne remonterait pas au ciel qui la réclame?

Laisse-là cette crainte et n'ose plus douter

Que ta fille jamais ait cessé d'exister.

Elle se montre ici sous une forme humaine

Pour se faire de toi reconnaître sans peine;

Mais parmi les esprits et les anges des cieux

Comme une blanche aurore elle brille: avec eux

À Dieu pour ses parents elle dit sa prière,

De même qu'ici-bas elle faisait naguère;

Que si ta douleur vient de ce qu'elle a quitté

La terre, dans sa fleur, avant d'avoir goûté

Aux plaisirs de ce monde, oh! qu'ils sont vains et vides

Vos plaisirs! Après eux, entre vos mains avides

Que reste-t-il, sinon un peu plus de douleur?

Tu peux le voir, mon fils, par ton propre malheur.

Ta fille, n'est-ce pas? t'a donné bien des joies:

Mais peut-on comparer au deuil où tu te noies

Aujourd'hui, le bonheur dont tu jouis jadis?

Tu ne le prétends pas. Crois-en donc, ô mon fils,

Ton propre sort. Pourquoi gémir, si de bonne heure

La mort a pris ta fille au père qui la pleure?

Elle a quitté non pas le plaisir, mais l'ennui,

Le travail, le chagrin, les douleurs, le souci.

Car le monde est si plein de douleurs et de larmes,

Que si la vie humaine a parfois quelques charmes,

Ils perdent leur saveur dans ce mélange amer

Comme l'eau d'un ruisseau perd son goût dans la mer.

Que pleurons-nous, grand Dieu? Qu'elle n'ait pas peut-être

Acheté par sa dot le rude joug d'un maître?

Qu'elle n'ait pas souffert de ses emportements?

Subi la maladie et les enfantements?

Appris comme sa mère, un jour, la malheureuse,

Qu'on ne sait des douleurs quelle est la plus affreuse

De mettre un fils au monde ou de l'ensevelir?

Voilà Ce dont sa vie aurait pu s'embellir!

C'est au ciel qu'on jouit des plaisirs véritables,

Des plaisirs sans mélange, assurés et durables.

Là-haut sont inconnus vos peines, vos tracas;

Les revers, les malheurs ne nous atteignent pas.

Des maux, de la vieillesse on brave les alarmes,

On n'y voit pas la mort qui se nourrit de larmes.

La vie est éternelle, éternel le bonheur;

De la terre et du ciel nous contemplons l'auteur.

Le soleil en tous temps nous luit et nous éclaire,

La nuit ne vient jamais éteindre la lumière.

Nous voyons pleinement Dieu dans sa majesté,

Lui que de votre corps voile l'obscurité.

Vers lui tourne ton cœur et savoure d'avance

Des plaisirs éternels la sainte jouissance.

Tu sais ce qu'est le monde et ses affections;

Que de plus grands objets guident tes actions!

Ta fille, crois-le bien, a le bon lot en somme.

Sa conduite ressemble à celle de cet homme

Qui sur la vaste mer venait de s'engager,

Mais qui, voyant soudain paraître un grand danger,

Fait voile vers le port. Les autres par l'orage

Poussés sur les écueils ont fait bientôt naufrage.

Dans les flots, par la faim, le plus grand nombre est mort;

Bien peu sur une planche ont pu gagner le bord.

Il fallait bien qu'un jour elle mourût, quand même

Elle eût de la Sibylle eu la vieillesse extrême.

Cet assuré trépas elle l'a devancé:

Par là de mille maux son sort est dispensé.

Combien à leurs parents chéri doivent, survivre

Dont la mort au malheur orphelines les livre!

Cette autre par contrainte épouse un inconnu,

Et le bien paternel passe au premier venu.

Et puis, même entre nous, les rapts ne sont pas rares;

Mais la plupart pourtant tombe aux mains des Tartares;

Et là, dans l'esclavage, ô spectacle attristant!

Attendent dans les pleurs la mort à tout instant.

Pour ta fille ces maux, tu n'as plus à les craindre,

Puisqu'en ses jeunes ans tu vois ses jours s'éteindre,

Avant qu'elle ait souffert, avant qu'elle ait pleuré,

Avant que les péchés aient son cœur effleuré.

Son intérêt, mon fils (tu peux être sans crainte),

Est donc sauvegardé; tu n'as pas lieu de plainte.

Mais règle tes chagrins ou plutôt tes erreurs

De façon à penser que les biens les meilleurs

Sont raison et santé. De toi reste donc maître

Quelque dur que le sort puisse encor te paraître.

L'homme dès sa naissance est soumis à la loi

Qui condamne au malheur le berger et le roi.

Il faut le supporter, quoi que l'on puisse faire,

Soit de gré, soit de force, on ne peut s'y soustraire.

Ce qui pèse sur tous, je ne sais trop pourquoi

Tu trouverais, mon fils, qu'il n'est lourd que pour toi.

Comme toi, comme tous, ta fille était mortelle;

Elle a vécu le temps que Dieu fixa pour elle.

Ce temps fut court, mais l'homme à cela ne peut rien;

Qui dira si ce fut pour son mal ou son bien?

Quels que soient les arrêts que le Seigneur décrète,

Le mieux est d'accepter sa volonté secrète.

Les pleurs sont impuissants: l'âme quitte le corps

Et n'y revient jamais quand elle en est dehors.

Mais l'homme envers le sort n'est ni juste ni sage.

Il ne voit et ne sent jamais que son dommage,

Et des événements ne veut se souvenir

Qui bien souvent aussi couronnent son désir.

Si grand est le pouvoir dont le Destin dispose,

Que loin de l'accuser, s'il nous prend quelque chose,

Nous sommes bien heureux s'il ne nous prend pas tout

Ne nous pouvait-il pas dépouiller jusqu'au bout?

Aussi, te soumettant à cette loi commune,

Ferme au moins de ton cœur l'accès à l'infortune.

Considère les biens échappés à ses coups:

Tout ce qui n'est point perte est un profit pour nous.

Voila donc tout le fruit des veilles obstinées,

Des labeurs assidus de ces longues années,

Où, plongé dans l'étude et sevré des plaisirs,

À tes livres tout seuls tu bornais tes désirs.

Arbre que je soignai, fais-moi voir ta récolte;

De ta faible nature apaise la révolte.

Toi qui dans nos malheurs nous consolais si bien

Fort pour le mal d'autrui, tu céderais au tien!

Médecin, guéris-toi. — Le temps seul peut le faire,

Dis-tu, mais qui s'élève au-dessus du vulgaire

À remède si vain ne doit pas recourir;

La raison, non le temps, doit seule le guérir.

Du temps même d'ailleurs quel est donc le remède?

Il fait qu'heur et malheur se chasse et se succède.

L'homme ne peut-il pas de la même façon

Voir ce qui doit venir? Et, grâce à la raison,

Oublier le passé, vivre par l'espérance,

Être prêt au bonheur ainsi qu'à la souffrance?

Agis ainsi, mon fils... supporte un mal humain

En homme. Le Seigneur nous tient tous en sa main.»

Elle fuit. Je m'éveille. Après tout, je l'ignore,

Veillais-je en l'écoutant? ou bien rêvais-je encore?

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